Tristan FRITSCH

 

 

 

Quand on m’a parlé d’intervenir, je ne savais pas quoi apporter à cette table. Je suis un simple étudiant à l’Institut régional du travail social, en deuxième année de formation d’éducateur spécialisé. Que puis-je dire de particulier, alors que d’autres le diront sans doute mieux que moi ? En quoi mon discours peut-il être différent de professionnels, qui ont vu sur le temps long les changements qui s’opèrent dans les secteurs du social et du médico-social ? De celui de parents, qui subissent ces changements, sont pris dans des temps d’attente de placement en structure de leurs enfants ? Des personnes accompagnées elles-mêmes qui, sans doute les premières, sont mises hors-temps, car la société n’est pas en capacité de leur donner une place adaptée ?

 

Quelque part, je me sens comme un ethnologue, pris dans la découverte de peuples s’entremêlant, vivant dans un environnement commun et pourtant ayant chacun des façons de fonctionner, d’être au monde, différentes, au sein d’une société dont je découvre encore les temps forts, le tempo général, les différents rythmes où les instruments institutionnels, les voix subjectives, les batteries administratives jouent une musique que je trouve encore cacophonique. Donc, je prendrai comme point de départ mon temps à moi, celui d’une découverte et d’une prise de conscience, d’un sentiment diffus qui a fini par me faire observer et alimenter mes expériences de stages en institutions sous une autre lumière (il y a ce qui existe et ce qui in-siste, disait Tosquelles, un intérieur qui influence la compréhension et la préhension de l’extérieur) et qui explique pourquoi, toujours simple étudiant, j’ai décidé de rejoindre ce collectif et apporter ma mesure dans un orchestre du travail social que je trouve déjà désarticulé.

 

Ho, ce ne sont que des idées simples, des opinions naïves. Mais la naïveté est parfois une méthode nécessaire pour rappeler des fondamentaux, pour se révolter contre un monde qui excuse trop souvent ses horreurs en disant que « c’est complexe ». Des idées qui sont nées de mes observations et participations lors de mes stages, où j’ai vu des professionnels construire leurs actions « malgré », un « malgré » qui semble prendre plus de place et inquiéter. Où j’ai discuté avec des parents combattant une machine kafkaïenne pour placer leurs enfants, des enfants qui comme dans le roman « Le Procès » sont désignés coupables et mis au banc de l’attente sans savoir ce qu’ils ont fait de mal, uniquement en raison de leur différence. Où j’ai vu des SDF demander de l’aide – un effort, je l’oublie parfois, mais avouer dans un bureau sa propre problématique, son incapacité à trouver seul une solution, est bien un effort incroyable – et être accueilli par un administratif « il n’y a plus de places disponibles », un travailleur social cherchant à mettre de l’humanité dans cette usine inhumaine. Enfin, où j’ai vu des adolescents avoir la possibilité d’évoluer, de vivre dans un environnement adapté, de se construire et d’enfin, avoir un endroit qui parle avec eux de leur temps, non pas un temps décalé des autres (celui de l’ordinaire, comme on dit), non pas un temps en suspension, non pas un temps se résumant à escalader des murs érigés par un monde inadapté, mais un temps qui est le leur, qu’ils modèlent, qui, enfin, peut être leur temps à eux, et à eux seuls. Des adolescents que j’ai vu comme chanceux, ce qui est doux mais surtout amer : car pourquoi sont-ils vus comme chanceux, dans une société où la prise en compte de chacun, rappelé dans les discours, les conventions, les droits de l’homme, est normalement la norme ?

 


Voilà, ce ne sont que des exemples pris dans mon travail d’apprenant. Bien sûr, cela est sans doute trop noir, trop pessimiste. Sans doute mon temps est celui de passer d’un imaginaire, un idéal, à une réalité sur laquelle construire mon temps professionnel, essayer de faire une mélodie originale dans un concert institutionnel et administratif huilé, malgré (toujours ce malgré) une angoisse de voir le rideau se baisser et chacun rentrer son instrument dans sa housse, et tant pis pour les publics qui attendent le rappel. Après tout, comme l’a dit un autre, rien n’empêchera, pas les lois, pas les coupes budgétaires, les gens de continuer à se réunir et danser, de trouver des solutions pour continuer à vivre. Mais, pour toutes les raisons évoquées précédemment, je ne peux pas m’empêcher, simple étudiant encore et toujours, de vouloir rejoindre ceux qui font de l’alarme un son à entendre. Car, et je terminerai mon intervention sur cette citation pas forcément consensuelle mais que j’aime beaucoup, comme le disait le réalisateur Michel Audiard « Bénis soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière ». Ma question étant « jusqu’à quand pourra-t-on encore les aider à l’allumer ? ». Merci de m’avoir écouté.

 

XXXV èmes Journées Vidéo-Psy

Nous voilà cette année encore à l'Institut Nazareth, 13 rue de Nazareth en mars 2024. Le rituel printanier se poursuit

Organisées par le C.R.A.P.S

(Dr R.BRES), le groupe Vidéo-psy et le CHU de  Montpellier,

Les journées sont gratuites et ouvertes aux personnels de santé et aux partenaires sociaux sans inscriptions préalables.

 

REGARDS

 

CROISES SUR

 

LA MÉMOIRE