The meeting (Bonjour Monsieur Courbet), 1854
Gustave Courbet
« AU FIL DE LA VILLE »
« Il était une fois » dans la ville de Montpellier un CMP (gaulois) nommé « le point de repère ».
« Il était une fois » des soignants désirants, désirant modifier la représentation de chacun, dans un mouvement d’individuation et de citoyenneté…
Ils ont créé le « groupe du côté de chez soi ».
C’était aussi le printemps de vidéo-psy, auquel j’ai participé avec plaisir, et auquel je reviens aujourd’hui, avec toujours le même souhait de faire du lien.@@@
De cette expérience, de ces aventures, est né le groupe «découverte de la ville», dans un mouvement dedans /dehors, dehors/ dedans.
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Rien n’est programmé, tout est à inventer, à se risquer !
Rien d’autre n’a lieu que le lieu.
Le lieu n’est que prétexte.
Pré-texte à des rencontres, à des surprises…
Que ce soit au cours d’un atelier dans l’institution, ou dans le musée de la Ville, que ce soit dans la rue, ou dans un café, que ce soit en marchant, ou en marchandant.
Je vais tenter de décrire ce que je cherche par mon travail, peut-être plus spécifiquement avec ces « drôles de groupes transhumants » même si c’est, toujours et en corps, la même chose, la même visée, qui ne cesse d’insister, dans tous les ateliers, dans tous les groupes, dont je réponds.
La question d’une place singulière et pour autant citoyenne.
Découvrir, c’est révéler, c’est ôter les voiles qui recouvrent, et plus précisément les voiles de nos peurs, de nos appréhensions, face à l’inconnu, aux inconnus, à l’étrangeté, à l’inquiétante étrangeté.
La peur est la plus fidèle compagne de la psychose, qui est le fond sans fonds, de nos âmes.
Il y a des lieux de rencontres.
Il y a des lieux, où l’homme se rencontre.
Il se découvre.
Me souvient l’un des tableaux les plus célèbres du Musée Fabre (1854) : Bonjour, Mr Courbet, où le peintre, Alfred Bruyas et son valet se rencontrent : ils se découvrent …
Il y a des processus d’appropriation possible.
Jamais vraiment garantis, jamais vraiment certifiés.
L’appropriation passe par le partage, l’échange, le nomadisme, où l’on entend que l’on nomme.
Ce qui permet à une ville de rester en vie, en mouvement, c’est le texte, la lettre, la parole.
Les paroles…
Pour nos patients en mal d’histoires, la dimension spatiale devient vite effrayante par manque de repère(s).
La stigmatisation sociale et leur propre souffrance de persécution les conduisent le plus souvent à une exclusion.
Comment étayer les patients dans leurs singulières appréhensions – au propre comme au figuré –, leurs singulières appréhensions des différents espaces urbains, ne serait-ce que dans leurs déplacements en transports en commun ?
Je suis toujours surprise de ces errances, qui ont pu se transformer, peu à peu, peu ou prou, en cheminements, grâce aux repères que le groupe leur a permis patiemment de co-construire.
S’il a régulièrement évolué dans sa composition, le groupe n’a pas varié dans sa proposition : celle d’inviter chaque participant, soignés et soignants, à se déplacer, chaque semaine, sur le rythme alternatif dedans/dehors : aller dans la ville, en revenir, pour (mieux ?) y retourner, et, qui sait, pouvoir aller tout simplement en ville.
À leurs tours, ces déplacements réguliers, au fil des ans, font bouger les représentations mentales de chacun, les nôtres, et celles, aussi, de ceux que nous rencontrons.
Ce pari citoyen et thérapeutique, nous ne devrions jamais cesser de l’engager, chacun de nos places : le pari de faire, dans la mesure de nos possibles, les pas de côtés nécessaires face aux peurs que suscite, en chacun de nous, cette inquiétante étrangeté.
En remettant patiemment sur le métier, nous avons pu tisser des relations privilégiées avec les différents lieux de notre métropole.
Avec le concours de Monsieur Milési de la Ville de Montpellier, nous avons bénéficié de visites guidées au Pavillon populaire, au Carré Sainte-Anne, à l’Espace Bagouet, au Musée de la Pharmacie et de la Chapelle de la Miséricorde, ou à la Panacée. À chaque fois, des rencontres, des surprises…
Nous nous sommes encore repérés à l’Opéra, au FRAC, au Jardin des plantes, au Musée archéologique Henri-Prades à Lattes, ou bien, bien sûr, au Musée Fabre.
Monsieur Jean-Noël Roques, Coordinateur du Service des publics du Musée, ne cesse de nous exprimer combien ce partenariat leur est précieux, et leur souhait, qu’il puisse se poursuivre et continuer de nous enrichir.
Il nous a permis ainsi d’avoir accès gratuitement aux ateliers et aux visites du musée, et d’être acteurs de l’exposition annuelle “Musée sans exception”.
Lors des dix dernières années, une trentaine de patients s’y est engagée. Sept ont pu s’inscrire et participer à titre personnel aux stages que le Musée organise l’été.
Ces aventures ont pu donner lieu, avec les patients, à la co-écriture de traces, sous forme de « carnets de voyages ».
Nous sommes même allés plus loin : en train, jusqu’à Sète, pour visiter le CRAC, ou le MIAM, et en bus, jusqu’à Lodève, visiter le Musée Fleury, et jusqu’à Sérignan, pour le Musée d’Art Contemporain, où nous avons pu participer à des ateliers.
Ces cheminements, c’est une façon de retrouver la vue, de retrouver la vue sur la ville, ses rues, ses maisons, son histoire, sa mémoire, ses mémoires. C’est une façon de retisser avec tous ces liens, entre les personnes et les lieux, entre les personnes entre-elles.
Qu’elles regardent leur environnement, le même, jamais le même.
Pour cela un regard ne suffit pas : il en faut plusieurs.
C’est le début du groupe.
Être capables de regarder ensemble.
Évidemment voir des choses différentes, que nous allons rapprocher, l’un/l’autre.
Aller, déambuler. Chercher les petites traces.
Qu’est-ce qu’on y voit ? Qu’est-ce qui s’y passe ?
Poser des questions aux gens du quartier …
Comment devenir acteurs des choses que l’on connaît ou pas,
être citoyens et pas seulement consommateurs ?
Après le temps du dehors, celui de nos lectures personnelles des différents lieux, étayées par le groupe, vient le temps du dedans, celui du partage, celui des échanges, celui de parler, celui de l’interpréter, celui de penser, dire quelque chose de ces lieux, de ces déplacements…
C’est le temps du dedans, du d’eux dans.
S’extraire un instant, de ces traces, pour les revivre au quotidien…
Vivre ensemble avec des hauts et des bas.
Il y a des lieux de rencontres…
Lire les lieux, lire les traces.
Un lieu où chacun se découvre.
Chacun y lit des choses personnelles.
Visiter encore une fois, une nouvelle fois, les mêmes lieux, jamais les mêmes.
Y découvrir à chaque fois de nouvelles choses.
Dialogues dans l’espace.
Dialogues dans le temps.
Dialogues au-delà de ce qui sépare.
Étonnantes, surprenantes adaptations à l’autre, aux autres, aux choses qu’ils lisent, qu’ils disent. Avancer en regardant autour.
C’est l’intérieur qui va parler, en partant de l’extérieur.
Susciter… Susciter chez l’autre.
Parier sur les possibilités que son intérieur se révèle, et se mette à parler.
Comment s’adapter aux réactions des patients, voir les façons dont ils s’appro-prient, comment ils se posent ?
Et là, tout d’un coup, je ne les reconnais pas.
Ils ne se reconnaissent pas.
Ils se découvrent.
Ils ne se reconnaissent pas.
Ils oublient même…
D’où la nécessité d’insister… de revenir… d’y revenir…
D’être un peu entêté.
Attendre l’inespéré !
Accepter d’être surpris, entre-tenir cette capacité à être surpris.
Se surprendre à prendre la parole avec plaisir, dans un espace qui n’est pas encore tout à fait ouvert. Comment cela peut devenir continuité dans toutes ces discontinuités. Et quand chacun enchaîne avec son propre vécu, cela donne de la vie.
Cet espace “qui n’est pas encore tout à fait ouvert”, c’est le terreau des groupes transhumants.
C’est ainsi qu’ils se font, se défont, se refont.
Ce type de travail thérapeutique espère que chacun puisse, au cours de ces différents lieux, cheminer au travers de ses connaissances, de son vécu, de ses intériorités, et que chacun puisse s’y révéler, s’y découvrir, et s’y retrouver.
C’est l’autre, ce sont les autres, qui nous permettent d’aller au-delà,qui nous permettent de transcender nos propres limitations.
Là, au moment où il y a des rencontres, ça parle…
C’est ce travail que je veux à nouveau réinventer, remettre, sans jamais vraiment cesser sur nos métiers.
Pas seule !
Je tiens à remercier les médecins qui m’ont autorisé ces aventures avec confiance, le Dr Jean Michel Bloch, le Dr Michel Ribstein, et le Dr Jean-Pierre Montalti et tous les soignants, psychologues et infirmiers, et, bien sûr, tous les patients, qui m’y ont accompagnée.
Depuis peu, avec ma jeune collègue Céline Couder, nous nous engageons « Au fil de la ville », nom du groupe, que nous tissons à partir du service d’ergothérapie intra-hospitalier.
Nous prenons le pari de nous aventurer, malgré la précarité de temps disponible pour le soin. Il se limite le plus souvent à la mise en place d’un traitement.
Le temps de l’hospitalisation n’autorise même pas une rencontre, seulement de cocher quelques cases dans une grille.
L’articulation dedans/dehors, laisse la possibilité de se construire une place singulière dans un processus d’individuation en tant qu’acteur, dans la cité, et de s’y découvrir, s’y reconnaître citoyen.
Le plaisir de semer une graine reste là ! On ne sait jamais quelles graines germeront. On ne sait jamais comment les fruits oubliés nous reviennent.
Brigitte Vuillaume, une ancienne collègue,qui a participé à ce groupe m’ a dit, il y a pas longtemps, qu’elle amène sa petite fille au musée, portée par ce qui nous a nourri de ces rencontres.Elle s’autorise à lui transmettre ce plaisir de la rencontre et de la découverte.
« Il était une fois… »
Je vous remercie…
Claudie Diaz Meissonnier,
ergothérapeute,
psychiatrie pour adultes,
bâtiment D2, hôpital de La Colombière.