Corinna Thomas

 

« Que dit la foi ? »

 

 

 

La foi comme anti-emprise

 

 

 

Qu'est-ce que la foi ? »

 

Une manière de définir la foi est de dire que c'est la relation vivante à Dieu - de confiance, de désir, de colère, de révolte – une relation d'amour.

 

Une relation qui fait vivre et qui libère - qui est un appel constant à vivre libéré !

 

 

 

Libéré de quoi ?

 

De l'emprise, de tout ce qui entrave la vie – de tout ce qui aliène le sujet.

 

 

 

Cela vous étonne ? Alors que lors de ces journées, au fil des interventions, vous vous êtes penchés plutôt sur les effets aliénants – non de la foi mais de la religion.

 

Aurais-je une vision particulière de la foi ? Naïve ? Intellectuelle ? Occidentale ?

 

 

 

Je maintiens : la foi, c'est de l'anti-emprise.

 

 

 

est-ce que j'entends cet appel à vivre libérée des emprises ?

 

 

 

Et bien c'est écrit quelque part.

 

Je le lis, je l'entends dans la Bible.

 

 

 

Le texte biblique, Nouveau Testament, Ancien Testament, c'est à travers lui que l'homme, la femme, peut entendre la parole de Dieu qui lui est adressée.

 

Cela peut être exigeant, le texte ! Car le texte exige une interprétation ! Chacun est invité à se situer devant le texte – à le laisser résonner, à se le coltiner. Toujours à nouveau.

 

Oui, à l'interpréter.

 

 

 

Et voilà ce que je vous propose ce matin comme entrée en matière : on va lire un de ces textes ensemble. Nous le coltiner. Faire quelques pas dans son interprétation.

 

 

 

Mais juste encore une remarque sur le statut de ce texte, du texte biblique en général : il n'est pas tombé du ciel !

 

C'est un écrit qui a un auteur, plusieurs auteurs. Qui dit auteur dit intention, message. Rédaction, composition. Contexte historique, social.

 

Et bien sûr : histoire de transmission.

Que dit le texte ?

 

Je vous propose de travailler sur un récit biblique qui raconte comment Jésus de Nazareth chasse un esprit mauvais – on pourrait parler d'un récit d'exorcisme. Ou : d'un texte d'anti-emprise. D'anti-aliénation. De libération. D'une mise en récit d'un processus de subjectivation, si vous voulez.

 

Nous écouterons donc le texte de l’Évangile de Marc, chapitre 5, les versets 1-20.

 

 

 

1 Ils arrivèrent sur l'autre rive de la mer, dans le pays des Géraséniens.

 

2 Sitôt qu'il fut descendu du bateau, un homme sortant des tombeaux et possédé d'un esprit impur vint au-devant de lui.

 

3 Il avait sa demeure dans les tombeaux, et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne ;

 

4 car souvent il avait eu les fers aux pieds et avait été lié de chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les fers, et personne n'avait la force de le maîtriser.

 

5 Il était sans cesse dans les tombeaux et sur les montagnes, nuit et jour, criant et se blessant avec des pierres.

 

 

 

6 Il vit Jésus de loin, accourut, se prosterna devant lui

 

7 et cria : Pourquoi te mêles-tu de mes affaires, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? Je t'en conjure au nom de Dieu, ne me tourmente pas !

 

8 Car Jésus lui disait : Sors de cet homme, esprit impur !

 

9 Il lui demandait : Quel est ton nom ? — Mon nom, lui répond-il, c'est Légion, car nous sommes beaucoup.

 

10 Et il le suppliait instamment de ne pas les envoyer hors du pays.

 

 

 

11 Or il y avait là, près de la montagne, un vaste troupeau de cochons en train de paître.

 

12 Les esprits impurs supplièrent Jésus : Envoie-nous dans ces cochons, que nous entrions en eux.

 

13 Il le leur permit. Les esprits impurs sortirent, entrèrent dans les cochons, et le troupeau se précipita dans la mer du haut de l'escarpement. Il y en avait environ deux mille ; ils se noyèrent dans la mer.

 

 

 

14 Ceux qui les faisaient paître s'enfuirent et répandirent la nouvelle dans la ville et dans les hameaux, et les gens vinrent voir ce qui s'était passé.

 

15 Ils arrivent auprès de Jésus et voient le démoniaque assis, vêtu et avec toute sa raison — lui qui avait eu Légion — et ils eurent peur.

 

16 Ceux qui avaient vu ce qui s'était passé leur racontèrent ce qui était arrivé au démoniaque et l'histoire des cochons.

 

17 Alors ils se mirent à supplier Jésus de s'en aller de leur territoire.

 

 

 

18 Comme il montait dans le bateau, celui qui avait été démoniaque le suppliait de le garder avec lui.

 

19 Il ne le lui permit pas, mais il lui dit : Va-t'en chez toi, auprès des tiens, et raconte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi, comment il a eu compassion de toi.

 

20 Il s'en alla et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. Et tous étaient étonnés.

 

 

 

 

 

D’emblée j'aimerais poser une clé de lecture : j'entends « esprit impur » et « possédé » aujourd'hui comme une manière de décrire un homme atteint d'une maladie psychique. Vous qui êtes soignants en psychiatrie, vous allez associer, penser à certains tableaux cliniques à partir des symptômes que le texte nous relate. Ceci étant posé, je vous propose d'avancer à grands traits à travers ce texte, et de dessiner ainsi quelques pistes de lecture.

 

« un homme sortant des tombeaux »

 

Cet homme n'habite pas avec les vivants. Il n'habite pas dans un lieu de la vie, mais dans un lieu de la mort.

 

 

 

« personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne »

 

Cet homme subit la violence des autres, la tentative de l'attacher, de le maîtriser, de le confiner dans un lieu.

 

 

 

« criant et se blessant avec des pierres »

 

L'homme exprime une grande souffrance et il a une attitude agressive contre lui-même.

 

 

 

« Sors de cet homme, esprit impur ! »

 

La mise en récit du dialogue entre Jésus et l'homme nous surprend d'abord par le fait que Jésus s'adresse à l'esprit impur qui domine l'homme. Il s'en suit une négociation, comme entre deux puissances.

 

 

 

« Pourquoi te mêles-tu de mes affaires, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut »

 

Certaines traduction écrivent « Que me veux-tu ? ». Nous sommes face à une énigme, à savoir d'où lui vient, à l'esprit impur, la connaissance. Le savoir qui est Jésus. Cette inquiétante perception de l'autre.

 

 

 

« Mon nom, lui répond-il, c'est Légion, car nous sommes beaucoup. »

 

La réponse nous renvoie aujourd'hui aux symptômes de la schizophrénie. Ce qui est intéressant, c'est de l'entendre aussi au niveau du signifiant « légion ». Entendre là aussi la légion romaine qui est présente sur le territoire comme envahisseur, comme puissance envahissante – l'occupant.

 

Les porcs qui sont en train de paître sont élevés par cette communauté dans le but de les vendre comme nourriture aux Romains. A l'occupant. Il ne s'agit pas seulement de faire du commerce avec l'occupant – mais c'est bien pire. Le porc, animal impur, est élevé par une communauté qui transgresse cet interdit alimentaire – pour faire de l'argent ! Quelle aliénation ! L'aliénation à laquelle nous avons à faire est celle de toute une communauté. L'homme, lui, le « possédé » en porte le symptôme, il en est aliéné car toute la communauté l'est.

 

 

 

« Envoie-nous dans ces cochons, que nous entrions en eux. »

 

Le devenir de l'esprit impur, chassé de l'homme, est intéressant. L'esprit impur va dans le lieu de l'impureté, les porcs. Les porcs, ensuite, chutent dans la mer, le lieu des forces obscures, lieu de ce qui menace, lieu de la mort.

 

La libération de l'homme libère aussi la communauté.

 

 

 

« Alors ils se mirent à supplier Jésus de s'en aller de leur territoire »

 

Mais contrairement à ce qu'on pourrait attendre, il n'y a pas de joie ni de remerciements de la part des habitants. Le texte mentionne la peur – en tout cas la libération de l'un n'est pas commode pour les autres. Elle n'est pas accueillie en tant que telle. Les cartes sont redistribuées, un nouvel équilibre doit se trouver dans cette communauté -nouvel équilibre qui nécessite le déplacement de tous.

 

 

 

« le suppliait de le garder avec lui »

 

L'homme libéré veut partir avec Jésus et ses disciples. Quitter ce lieu qui fut le lieu de son aliénation. Mais, grand étonnement, Jésus ne le lui permet pas ! Il le renvoie chez lui, dans sa maison. Quelle épreuve ! L'homme est envoyé là ou ce sera le plus difficile de tenir. Là ou ce sera dur de vivre libéré, de tenir dans sa subjectivité : auprès de celles et ceux qui furent des forces aliénantes pour lui, qui n'ont ni désiré ni accueilli sa libération. Il sera exposé à leur regard qui risque de le renvoyer à ce qu'il était.

 

En plus, Jésus lui demande de témoigner, d'en parler, d'en parler à ceux qui risquent de ne pas vouloir l'entendre ni le croire.

 

 

 

« Va-t'en chez toi, auprès des tiens, et raconte-leur »

 

La libération est à ce prix-là. Pas question de suivre Jésus … comme on suivrait un gourou. Délié, l'homme est appelé à habiter sa propre parole, d'affronter les pièges de l'aliénation, de tenir bon dans sa subjectivité.

 

 

 

 

 

En conclusion, je dirais que la relation avec Jésus Christ, avec Dieu, est développée dans ce texte comme une relation libératrice, une relation « subjectivante », une relation « anti-emprise ».

 

Alors je reviens au sujet qui m'a été proposé : « Que dit la foi ? »

 

Dans la foi, la femme, l'homme – l'humain - est invité à se laisser libérer. A oser vivre en tant que sujet, non-aliéné, libéré - envers et contre tout. Et dans ce chemin le croyant est appelé, soutenu et toujours à nouveau encouragé par Jésus Christ.

 

Voilà comment je lis aujourd'hui avec vous ce récit biblique.

 

 

 

 

 

 

 

Que dire de l'aumônerie hospitalière protestante au CHU ?

 

 

 

Quelques mots encore – pour bien atterrir dans ma pratique d'aumônier.

 

Que propose l'aumônerie protestante ?

 

D'accompagner les patients, les familles et les proches. De les soutenir dans cette crise que représente la maladie.

 

 

 

Avant tout, les aumôniers et les auxiliaires d'aumônerie proposent d'écouter celles et ceux qui le souhaitent. Nous pouvons être amenés à accueillir avec le patient la question du sens de la vie, la laisser surgir, l'entendre avec l'autre et lui permettre de déployer quelques éléments de réponse. Parfois. Parfois aussi nous sommes juste là et nous entendons la question ensemble. Tout comme nous pouvons entendre ensemble l'appel de Dieu à la libération. L'appel à la vie. Même dans la maladie ! Libération de tout ce qui entrave notre subjectivité, de tout ce qui nous aliène ! Libération de l'emprise !

 

 

 

Le réel de la maladie est là – oui, mais malgré cela il y a tant de choses à vivre.

 

 

 

Il s'agit d'être là pour que le patient puisse traverser, traverser la crise.

 

Vivre … malgré le diagnostic, le pronostic. Ne pas devenir « objet de soins ».

 

S'approprier son histoire. Faire le point. Revoir les priorités. Reconstruire.

 

Toujours à nouveau « devenir sujet » – sachant que Dieu y appelle l'homme, la femme.

 

Pour le croyant, dans la foi, Dieu est le garant de notre subjectivité.

 

 

 

XXXV èmes Journées Vidéo-Psy

Nous voilà cette année encore à l'Institut Nazareth, 13 rue de Nazareth en mars 2024. Le rituel printanier se poursuit

Organisées par le C.R.A.P.S

(Dr R.BRES), le groupe Vidéo-psy et le CHU de  Montpellier,

Les journées sont gratuites et ouvertes aux personnels de santé et aux partenaires sociaux sans inscriptions préalables.

 

REGARDS

 

CROISES SUR

 

LA MÉMOIRE