Radicalisation et dé-radicalisation
Patricia CARETTE, Association Via Voltaire, Montpellier
Je voudrais en première intention remercier les organisateurs de vidéo psy d'avoir invité via voltaire à témoigner d'une expérience à la fois bien modeste sur un thème bien complexe puisqu'il s'agit du processus de radicalisation chez les jeunes et d'une démarche clinique liée à la dé-radicalisation...
J'insisterai dans mon exposé sur le fait que l'équipe clinique engagée dans le travail de réflexion ne se qualifie ni d'experte ni de de spécialiste de la question ... Nous avons juste tenté à partir de notre expérience clinique d'appréhender un phénomène qui d'évidence aura une incidence forte dans nos pratiques professionnelles tout en faisant écho à nos propres espaces personnels et intimes… En effet les attentats perpétrés sur le sol français ont eu des effets à plus d'un titre sur nos comportements. On a pu observer de l’union, du recueillement, de la solidarité comme des crispations, du rejet, de la fracture dans le tissu social et dans ce fameux vivre ensemble aujourd'hui décliné comme une litanie voire une recette dictée par les politiques publiques où se conjuguent citoyenneté, laïcité, et j'en passe !!!
Je pense à Maurice Béjart et à sa phrase célèbre qui dit "la danse n'a plus rien à raconter : elle a beaucoup à dire " quelquefois il me vient l'envie de la transposer à la clinique et plus particulièrement à la psychanalyse, la psychanalyse dans ce qu'elle a de plus noble et qui autorise pour le sujet une expérience sensible, un vécu émotionnel, une prise de risque, un cheminement.
Évoquer la radicalité revient à questionner ce qui tient à l’essence, au principe, au fondamental à l’absolu, au drastique : le fait de se radicaliser est de tendre vers un extrême. Pour autant je m’interroge sur comment traduire aujourd'hui un processus de radicalisation religieuse qui amène un jeune à devenir un fou de dieu, un martyr ou un héros. C'est selon… En quoi le phénomène de radicalisation violente croise de façon tangible l'intime et le politique ?
En quoi la pulsion de mort chez les plus jeunes nous révèlent les effets ravageants de l'ère contemporaine ?
En quoi les équipes cliniques, les soignants en général et les travailleurs sociaux sont concernés par ces questions ?
Que leur demandent les politiques publiques ? Quels modes d'intervention auront-ils à mettre en œuvre pour éradiquer le phénomène dans un monde à l'apogée de la technicité, un monde dévitalisé, en perte de sens et en panne de sa machine désirante ?
Si être radical c'est prendre les choses à la racine, comment des jeunes se laissent-ils embrigader ? quel est le moteur de leur engagement ? Comment adhèrent-ils à la terreur ?
Peut-on imaginer que la profonde crise que traverse le politique constitue le terreau du terrorisme ? si cette éventualité est pensable voire recevable comment les politiques publiques mises en œuvre pourront proposer des solutions ?
Quelles sont les pratiques à instaurer pour tenir lieu de rempart ? Avec quels moyens ? Quelles compétences ?
Je t’aime, un peu, passionnément à la folie (Allah il est difficile de ne pas entendre le jeu de mots !), pas du tout ...
C’est ce pas du tout qui m'intéresse tout particulière ment, notamment en lien avec les jeunes rencontrés au sein de l’unité de soutien et de prise en charge psychologique assurée par via voltaire :
- pas du tout d'espace dans la cellule familiale, on observe une solitude au fondement des nouvelles souffrances psychiques, une solitude comme incapacité à se sentir en lien, des humiliations, un désespoir latent, ne laissant la place ni aux rêves, ni à l’espérance, une misère symbolique, ici bien présente et récurrente : un pas du tout d'amour confronté à un univers de la force, de l'utilité et de la puissance...
Voilà ce que peut créer une société fataliste qui d'évidence diffuse pour un bon nombre de jeunes le nihilisme, et le pas du tout de dialogue, d’échange, pas de projet... Le néant en quelque sorte !
Pas d'espace non plus dans la sphère sociale, difficile alors de se sentir sujet, de se sentir vivant, de rêver un monde possible ...
De vous à moi qui va remplir ce vide ? Qui va l'exploiter ... Et bien les recruteurs celles et ceux qui savent où est le manque, où est la faille... Et une fois repérée la victime est embrigadée, à disposition ... sa solitude et bien au-delà son esseulement sont exploités à l’envi.
Face à ce constat dramatique d’embrigadement, de radicalisation violente des jeunes, une question se pose... Que peut la clinique ? Comment aider le / la jeune sa famille son entourage ?
Comment repérer les phases d’alerte, comment parler, instaurer ou restaurer le dialogue ???
Que peut la clinique ? Ma réponse est simple, la clinique pourra ce qu'elle pourra si les psychologues compétents sont associés, sollicités, consultés et surtout reconnus dans leur mission diagnostique pour aider le / la jeune à cheminer et retrouver une voie, un espace, une expression !
La difficulté aujourd’hui c'est la tendance à vouloir travailler à partir de thérapies situationnelles, à construire une boîte à outils utilisable par tous en oubliant le ou les symptômes qui permettraient précisément de traiter le mal à sa racine.
Alors oui je le dis et je le dis de façon très claire et en toute liberté je suis très inquiète face à un phénomène aussi grave où la clinique comme le soin devraient occuper une place prévalante alors que j'observe des postures où le contingent, le provisoire et le fugitif prennent une place évidente pour ne pas avoir à penser mais au contraire glacent le temps dans l'impensable ...
Enfin pour conclure je dirai que via voltaire a été assigné « à la fabrique de soumission sociale pour citer Rolland Gori » à savoir l’évaluation. Notre travail, notre engagement et notre réflexion ont été considérés inefficaces, et via voltaire a tout simplement été écarté du projet !!!
Il reste donc aux communicants à communiquer, aux experts à expertiser, aux évaluateurs à évaluer, aux référents à référencer c'est ainsi que la folie peut galoper que la crise du récit restera sans suite au bord du gouffre et qu'un monde sans rêve reste et restera un monde perdu. Alors oui la terreur au nom du religieux n'a pas fini de moissonner en exploitant très efficacement la disparition de nos utopies et de nos rêves partagés.
Je vous remercie
Radicalisation et dé-radicalisation (en complément)
Patricia CARETTE, Association Via Voltaire, Montpellier
Si Robert Brès m'a demandé de venir témoigner de la démarche de via voltaire je dois en de dehors des réflexions que je tenais à déplier avec vous, revenir à la commande et vous parler de l'expérience mise en œuvre en septembre 2015.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas via voltaire il est important de rappeler que l'association est installée à Montpellier depuis 23 ans, que c'est une structure dont les missions sont essentiellement articulées autour de la clinique de la précarité, du lien social, conjugal et familial ...
Nous avons notamment développé un axe clinique très important sur le thème des violences conjugales et intrafamiliales en assurant notamment des prises en charges thérapeutiques à l'adresse des hommes violents, mais également des enfants et des adolescents victimes. C'est à partir de cette compétence principalement, mais également pour l'ensemble des missions cliniques de via voltaire, que la Préfecture de l'Hérault nous a sollicité pour réfléchir et mettre en œuvre une unité de prévention et de soutien pour les jeunes pris dans un processus de radicalisation violente.
La démarche clinique s'est construite autour de trois axes
-la participation à la cellule de prévention et d'orientation pilotée par la préfecture -la création d'un réseau interprofessionnel
-la création de l'unité de prévention et de soutien au sein de via voltaire.
Bien sûr ce travail a été passionnant, riche d'enseignement, et je tiens aujourd'hui à remercier Sophie Lenkic et l'ensemble de l'équipe de cliniciens de via voltaire qui a apporté sa contribution au travail de réflexion et de mise en œuvre du projet dans sa globalité.