Corps, psychose et institution

 

 

 

Joseph MORNET

 

 

 

 

 

Le rapprochement des trois termes, corps, psychose et institution, peut sembler aller de soi, une institution de soins devant s’occuper nécessairement des corps. Pourtant Maud MANNONI soulignait il y a  déjà longtemps comme c’est un « malentendu » le plus souvent qui préside à la rencontre des corps avec leurs « spécialistes ».

 

Tout dépend, en effet, de la définition préalable que l’on donne du « corps », et de l’environnement institutionnel dans lequel se déroule le soin. Lorsque les normes de l’accréditation obligent, par exemple, à sonder le patient que l’on accueille en lui demandant de chiffrer sa douleur sur une échelle de 1 à 10, il est évident qu’une conception sous-jacente du corps se met en place où douleur physique et douleur psychique se trouvent confondues dans une relation à une valeur inexistante, celle d’une prétendue échelle de référence. Quelle note un psychotique peut-il donner à la douleur qui le tenaille ?

 

Ces dernières années ont vu se développer des bouleversements absolus des modèles qui gouvernaient le soin aussi bien dans le passage progressif de la santé à un statut de produit économique que dans la nécessité d’un soin désormais maitrisable par une bonne gestion informatique sans compter, de plus, les progrès inouïs de l’imagerie médicale rendant les corps de plus en plus transparents sous les caméras, les ondes ou les rayons des machines.

 

Malgré cela, la psychose continue à échapper aux modèles de compréhension qu’on essaie de tisser autour d’elle. Au minima, elle se repère à la difficulté, pour un sujet, à accéder à la symbolique commune, à entrer dans un système social partagé sous peine de s’y détruire ou de détruire l’autre. Si bien que, lorsque la personne arrive en soins, le point de contact entre elle et le soignant qui l’accueille est toujours fragile, ténu, souvent improbable. Le langage qui sert aux humains à se repérer socialement et à échanger semble crée l’effet inverse chez le psychotique : il le disperse ou l’aliène et constitue le premier « mal entendu » du soin. Le corps devient alors le centre de la rencontre, le lieu privilégié d’expression du symptôme. Que va en faire l’institution ?

 

Je vais tenter de répondre à ces questions à travers le simple témoignage d’une pratique, celle de l’équipe du Centre psychothérapique Saint Martin de Vignogoul, en vous racontant rapidement comment on a essayé de s’en débrouiller.

 

 

 

1 – Du maternage individuel à la physiothérapie

 

 

 

Le Centre Psychothérapique Saint Martin de Vignogoul s’est ouvert en 1972 et accueille des jeunes psychotiques jeunes pour des séjours de moyen ou long séjour. Le projet institutionnel repose à la fois sur la psychothérapie institutionnelle et les thérapies de groupe.

 

 

 

Le maternage individuel

 

Très rapidement confrontés à la nécessité de soins particuliers pour les malades plus régressés, nous avons entrepris des prises en charge individuelles à travers les pratiques hospitalières classiques de « maternage individuel ». Cette notion renvoie à la présence sécurisante d’une mère qui protège et supplée dans les actes quotidiens de la vie : le patient est accompagné par une même soignante dans ses gestes de la vie courante, repas, hygiène corporelle et vestimentaire, allers et venues dans l’institution, dans des sorties. Après quelques prises en charge, nous nous sommes rapidement et souvent douloureusement aperçus que de tels soins ne sont pas si simples.

 

L’histoire de Gabrielle a constitué pour nous la bascule qui nous a permis de retravailler notre outil institutionnel et l’orienter vers d’autres pratiques. Sa prise en charge nous a confrontés à la dure réalité de la psychose, à la force implosive de sa dynamique régressive, à ses fantasmes destructeurs de morcellement, de cannibalisme, de mort, aux figures monstrueuses et dévorantes des aliénations réciproques.

 

 

 

Gabrielle est une jeune fille de 20 ans, complètement mutique qui passe ses journées immobile, figée dans le hall d’entrée. Son visage ne marque aucune expression particulière. Son état physique se délabre progressivement : elle ne se lave pas et se nourrit difficilement. L’approche verbale ou physique est quasiment impossible. Son équipe décide de structurer une relation de maternage qu’elle confie à une soignante, Marie qui l’accompagne quotidiennement dans ses besoins primaires : se laver, faire la lessive, se promener, manger…

 

Le lien entre Gabrielle et Marie devient rapidement très intense, « fusionnel » pour l’équipe, en référence à l’image de relation symbiotique de type mère-enfant qu’il renvoie. Malgré un état de régression qui semble s’accentuer, Gabrielle, au contact de Marie, sort légèrement de son mutisme : sa figure marque des expressions, sourire ou tristesse. Par bribes, elle s’adresse à elle : « je suis fâchée… est-ce que tu m’aimes ?… je suis mariée… je suis mariée avec toi… ». Elle déplace son lieu de prédilection : du hall d’entrée de l’institution elle va se fixer  à la porte du restaurant, près des cuisines.

 

L’équipe commence à s’inquiéter de l’intensité de la relation qui se tisse entre Gabrielle et Marie : elle a l’impression que Gabrielle ne vit plus dès que Marie est absente, et qu’elle la dévore quand elle est là. Lorsque le sujet est évoqué en équipe, le ton devient vite passionnel, voire persécutif. L’administration, qui plus est, s’en mêle ne comprenant pas que l’on laisse trainer Gabrielle sale et puante dans les lieux communs de la clinique. La chef du personnel va jusqu’à se mêler du soin et donner des prescriptions à des infirmières qui, bien sûr, refusent d’obtempérer : on la traite de « SS ».

 

Le rapport de force s’étend à Gabrielle elle-même qui devient plus agressive. Un jour, elle essaie d’étrangler Marie tout en lui disant : « je t’aime ». Elle refuse en même temps tout traitement. L’équipe, de son côté, refusant de la médicamenter de force. Gabrielle entre un midi dans le restaurant, prend son élan et plonge à travers le passe-plat en disant « j’accouche ». Une autre fois, nous la retrouvons debout sur le rebord de sa fenêtre au deuxième étage.

 

L’équipe vit difficilement ces comportements. Dépassée, Marie se sent, de plus, accusée par l’équipe d’utiliser Gabrielle « comme sa fille, son pénis, ou quelque chose comme ça… ».C’est alors que la sécurité sociale décide, malgré une demande d’expertise de notre part, d’interrompre la prise en charge. Gabrielle quitte l’institution : nous recevrons une carte elliptique de sa part 4 ans plus tard : « je vous écris pour vous dire que je vais bien : je suis Gabrielle R. ».

 

L’histoire de cette prise en charge se déroule dans les premières années de l’institution. L’équipe est jeune, elle se rôde. Nous venons d’horizons différents, mais partageons tous une certaine utopie sur le soin institutionnel des psychotiques. L’histoire de Gabrielle vient déchirer nos relations : elle nous confronte à la dure réalité de la psychose et de la force implosive de sa dynamique régressive. Une institution qui se croit « bonne » prend, en retour, en pleine figure des fantasmes destructeurs de morcellement, de cannibalisme, de mort, d’aliénations réciproques dévorantes. Le maternage peut être une intrusion violente dans le monde du psychotique, l’assignant à une régression qui peut le terrifier et où il peut entraîner son entourage.

 

Une réflexion d’équipe s’est imposée. Notre projet thérapeutique était centré autour de la parole et de la thérapie de groupe. Gabrielle nous a interrogés là où notre dispositif défaille : elle ne parlait pas et ne communiquait pas. Que faire alors ? et pourquoi abandonner notre idée du groupe comme fondement du soin ?

 

 

 

La physiothérapie

 

 

 

Les impasses du maternage avec Gabrielle nous avait imposé la nécessité d’y « être à plusieurs » pour reprendre la formule de Jean OURY. Le groupe peut remplir cette fonction. Dès 1976 nous mettons en place un groupe de thérapie corporelle que nous avons nommé « physiothérapie » en référence au travail de SIVADON et GANTHERET à l’hôpital de la Verrière. Il a fonctionné pendant 35 ans.

 

La physiothérapie réunit un petit nombre de soignants (de 2 à 4) avec un petit nombre de patients (entre 4 et 5) pour une séance hebdomadaire qui se déploie sur 3 à 4 heures.

 

Le premier temps, appelé « psychomotricité », est axé sur la relation la plus archaïque au corps, celle du corps en mouvement. Nous nous mettons en activité sensorielle dans des « jeux » de manipulation d’objets et d’échange avec autrui, de déploiement dans l’espace et de détente corporelle.

 

Le deuxième temps est celui d’un repas partagé en commun. Maud MANNONI a insisté sur l’importance du partage des « choses simples ». Manger ensemble, échanger des propos de la vie quotidienne est aussi une manière de soigner.

 

 

 

Le troisième temps et le quatrième temps sont des temps d’expression. Ils se déroulent dans l’atelier de modelage. La consigne est commune : nous demandons de modeler un objet représentant un corps. Le personnage représenté varie suivant les séances : généralement nous faisons un va-et-vient entre une représentation de soi, et une représentation d’un autre, parental, amical, imaginaire…

 

Cette œuvre est ensuite prétexte à une verbalisation sur le personnage réalisé puis sur la séance. C’est une invitation à dépasser un vécu qui resterait au seul plan de l’imaginaire pour en faire une parole échangée avec autrui. Le vécu corporel de la séance devient alors support d’une parole.

 

La progression d’une séance se fait sur une ligne d’évolution assez simple. Le premier temps, sensoriel et corporel est le niveau plus archaïque ; la dimension de plaisir et de jeu y est importante. Le temps du repas est celui d’une ouverture sociale autour d’un partage. Les deux derniers temps sont ceux qui ouvrent à l’imaginaire grâce aux représentations de modelage et à la symbolisation par l’invitation à la parole. Toute expérience humaine qui s’inscrit durablement en nous s’enracine sur du corporel : le verbe se fait d’abord chair.

 

Ces trois  temps (sensoriel/imaginaire/symbolique) reprennent en fait ceux du développement génétique de chacun. Les premières sensations  du fœtus, que WALLON nomme « tonico-émotionnelles », sont d’abord corporelles. Elles s’inscrivent sous forme de traces, d’abord organiques, puis progressivement sensorielles, puis mnésiques avec des créations d’images. De plus en plus constituées elles donneront naissance à l’imaginaire. Les images vont ensuite s’associer à des mots. Ces mots, d’abord individuels, vont se socialiser et devenir langage et, par là, donner accès au symbolique.

 

 

 

2 – Les soins corporels individuels

 

 

 

La réflexion de l’équipe avait amené l’institution à passer du maternage individuel à la thérapie groupale. Plusieurs années après, en 1990, l’équipe accomplit le chemin inverse. Devant le besoin ressenti d’ouvrir les soins corporels à un plus grand nombre, elle essaie d’imaginer un autre dispositif complémentaire aux autres lieux de thérapie en ouvrant un lieu adapté aux soins corporels individuels avec table de massage, d’un miroir et d’une grande baignoire.

 

 

 

Les séances de soin corporel individuel : Annie

 

Une séance de soins corporels suit un développement proche de celui de la physiothérapie.  Le premier temps est centré sur la sensorialité et sur l’expérience de son enveloppe corporelle : toucher direct en massage, puis toucher par l’eau dans le bain. Les autres temps prolongent le premier en demandant de faire un dessin libre puis d’en parler.

 

Dans mon livre « Le corps et la psychose », je rends compte par le détail des séances du déroulement d’une thérapie corporelle, celle d’Annie. J’en reprends avec vous les grandes lignes.

 

Annie est une jeune fille âgée de 26 ans à son arrivée à St Martin, orpheline de père et de mère depuis peu. A sa naissance, sa mère n’a pu la reconnaître. Il a fallu attendre 6 mois pour qu’elle puisse établir un lien avec elle. A partir de l’âge de 3 ans, sa vie va se confondre avec les institutions qu’elle traverse, familles d’accueil, IMP puis hôpital psychiatrique à 18 ans. Elle entre alors dans une décompensation psychotique majeure d’abord par un épisode catatonique puis par une explosion persécutive mêlé de délire mégalomane. Elle passe régulièrement par des épisodes clastiques. Elle reste ainsi 8 ans en hospitalisation continue avant de nous être adressée à Saint Martin. Ses soins corporels seront mis en place 5 mois après son arrivée et dureront 7 mois. Durant ces séances je serai accompagné d’Éliette, une infirmière qui connaît bien Annie.

 

Son travail corporel va tourner autour de trois étapes essentielles.

 

 

 

 

 

 

 

« Annie sous la douche, Monsieur Mornet à côté »

 

 

 

Dans un premier temps, Annie ne se manifeste corporellement que par des réactions excitatoires (crispations, fous rires) ou, à l’inverse, dans une grande passivité d’un organisme passif et indifférencié. Elle va au bain d’abord avec méfiance. Ses dessins, à l’inverse, sont étonnamment bien constitués : le corps y est bien représenté avec ses divers membres. Annie y dessine d’emblée, dans ses trois premières séances, ses trois principaux thérapeutes, moi-même (« sans cou »), Éliette (« avec une cravate ») et son psychiatre avec qui elle fait de la balançoire. Elle répond clairement à ceux qui mettent en doute la capacité des psychotiques à transférer en donnant raison à  BLEGER, « le transfert psychotique s’installe, au contraire, rapidement et massivement ».

 

 

 

 

 

 

 

« Le cœur et le cerveau »

 

 

 

Le deuxième temps s’inaugure avec des représentations de l’intérieur de son corps : ces dessins font suite aux séances où je l’invite doucement dans le massage à être attentive aux mouvements internes de son corps, ceux du trajet de l’air dans la respiration. Les dessins perdent alors leurs cohérences et montrent un intérieur du corps morcelé, constitué de juxtapositions d’organes. Leur seul lien est constitué par des flèches : la peau devient une partie interne recouverte par le ventre comme organe externe, le cœur et le cerveau se situant au cœur de l’organisme.

 

En même temps Annie commence à exprimer ses fantasmes pendant les massages : « je suis comme un robot  commandé par le cœur », puis des images plus violentes, « je suis de la pâtée que vous mangerez avec votre femme » ou encore, « vous voulez m’arracher les yeux pour les mettre à votre femme !… ». Elle y interroge directement mon désir sur elle : « vous avez une grosse main vicieuse ».

 

On peut penser, en même temps, que ces images ont une fonction rassurante : si j’ai d’autres objets d’amour qu’elle (ma femme, mais aussi Éliette à qui elle demande lors d’une de mes absences si je suis son mari). Cette main est aussi ce qu’elle cherche à s’approprier : « vous avez les mêmes mains que les miennes ».

 

Au fur et à mesure qu’elle laisse exprimer cet imaginaire elle commence à réagir différemment lors des massages en introduisant des différenciations dans son ressenti, « ça fait du bien », ou « ça fait mal » jusqu’à cette étrange énonciation, « ça fait drôle ». Un autre domaine semble s’ouvrir, celui de l’accès à sa propre érogénéité sans doute : « quand votre main caresse, ça fait drôle ».

 

Serge Leclaire nous demande d’imaginer le doigt d’une mère qui vient caresser la joue de son bébé et le sourire qui vient inonder le visage du nourrisson. Que faut-il, ajoute-t-il, pour que cette caresse de la mère vienne donner accès à son enfant à la sensation d’un corps qui lui est propre er qui a sa propre érogénéité ? Il faut d’abord  « que la caresse … soit ressentie comme plaisir » qu’ensuite que le « doigt qui caresse soit particulièrement distingué comme appartenant à un autre corps » et enfin « que le doigt caresseur soit lui-même constitué comme zone érogène », c'est-à-dire ait sa propre source de plaisir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Monsieur Mornet tient sa culotte, dedans il y a Annie qui danse »»

 

 

 

Un dessin vient marquer cette deuxième étape. Pendant qu’Éliette lui faisait un shampoing Annie s’est mise à chanter : « Mr Mornet a une culotte à l’envers et à l’arrière ». Elle représente ensuite dans son dessin « Mr Mornet qui tient sa culotte, dedans il y a Annie bébé qui danse ». Image d’une naissance telle Athéna naissant du corps de son père ?

 

 

 

 

 

 

 

« La belle Annie »

 

 

 

La dernière étape est marquée par la reprise de dessins de l’intérieur de son corps et d’autres s’ouvrant dans une dimension cosmique ou les organes deviennent des astres. C’est également l’étape de la préparation de son départ de la clinique et donc le travail de séparation. Elle y alternera des temps de dépression, -  « je suis votre proie, vous me jetez en l’air parce que vous ne m’aimez pas… Je ne m’aime pas, je suis capable de rien » -, avec des temps d’élaboration sur ce qui est gardé de l’autre lorsque l’on se sépare : « je vous donne de ma sueur pour que vous la gardiez avec vous », ou encore elle imagine que je vais l’empailler pour la garder avec moi. Elle m’interroge : « pourquoi ne m’amenez-vous pas avec vous, Mr Mornet ?». C’est elle qui part : c’est à moi qu’elle demande de l’amener.

 

Pour sa dernière séance, elle va différencier ce qu’elle aime en elle, ses seins, son dos, ses bras, ses yeux (« surtout mes yeux, c’est ce que j’ai de plus beau »), ses cheveux de ce qu’elle n’aime pas : ses jambes, « elles sont  trop courtes ».Elle représente  « la belle Annie ». Elle peut partir confiante, en me laissant une belle image d’elle. Annie rejoint l’appartement communautaire avant de repartir, au bout de 6 mois, dans la région parisienne chez sa sœur.

 

 

 

3 – Quel corps ?

 

 

 

L’exposé de ce travail collectif d’élaboration et de mise en place nécessite un prolongement théorique sur les modèles sous-jacents de représentation du corps qui peuvent l’étayer. Il apparait assez rapidement qu’ils se situent au-delà des seuls modèles médicaux et psychanalytiques habituels. Ils ouvrent une proximité assez inattendue avec le chemin de certains artistes.

 

 

 

Le corps objectivé et visible de la médecine

 

Michel Foucault, dans « la Naissance de la clinique », a montré comment le regard de l’anatomiste a fondé la relation du médecin au corps depuis deux siècles : le corps du patient y est réduit à l’état de cadavre ouvert au scalpel et le médecin est sommé de se dégager de toute subjectivité dans sa relation thérapeutique.

 

Les politiques actuelles de réglementation du soin s’appuient sur une même démarche d’objectivation et de lisibilité cliniques. Le corps « informatico- ou numérico-clinique » est le clone du corps « anatomo-clinique ». Les outils d’informatique et d’imagerie relaient le scalpel et les yeux de l’anatomiste et du biochimiste. Le corps y est, de la même manière, convoqué en tant qu’objet visible, découpable, quantifiable et prévisible. C’est ce qui fonde aussi bien les grilles de classement du DSM ou du CIM que les items de l’accréditation.

 

 

 

Le corps du désir de la psychanalyse

 

La psychanalyse est venue bouleverser ce bel ordonnancement de la raison en montrant comment le  désir, traversant le corps renverse cette tranquillité anatomique. Elle a ainsi redonné ses lettres de noblesse au corps en l’ouvrant à la profondeur du langage et à la richesse de l’imaginaire. Le corps ne peut se réduire au visible et au nommé, au maîtrisable et au découpable, au raisonnable et à l’explicable : il est là où le sens se dérobe, là où le visible fuit, là où la parole se fait silence.

 

Le contact avec la psychose nous a montré, avec Gabrielle ou Annie, les limites d’un lien purement imaginaire au corps. Le corps résiste dans son opacité de chair et vibre dans sa réactivité sensorielle  et ne se réduira jamais à la seule emprise imaginaire que l’on peut rêver d’avoir sur lui. « L’anatomie c’est le destin » nous avait enseigné FREUD.

 

 

 

Le corps représenté de l’artiste

 

Le clinicien se trouve ainsi obligé de suivre un chemin voisin de celui de l’artiste passant des limites d’une volonté de reproduction purement anatomique du corps aux impasses de ses représentations imaginaires ou abstraites. Tous deux se retrouvent devant la même question : comment rencontrer un corps ? Le sculpteur et peintre, Alberto GIACOMETTI, a désespérément essayé de représenter au plus près le corps que pouvaient lui présenter des modèles représenté : le résultat le ramenait qu’à des regroupements disparates de bouts de corps, ou, à l’inverse à de telles épurations que le corps se réduisait à une simple plaque concave ou convexe.

 

 

 

 

 

 

 

L’objet invisible de GIACOMETTI

 

 

 

Il a alors essayé de partir non plus de l’extérieur anatomique du corps mais de l’exploration des sensations intérieures, fantasmes, imaginaire, ou rêves. Ses œuvres lui sont vite apparues comme d’artificielles mises en scène donnant l’illusion du réel mais ne rencontrant en fait que le vide.

 

En 1934, il sculpte une œuvre charnière qu’il nomme « L’objet invisible » ou « Mains tenant le vide ». Elle marque une rupture avec ses périodes réalistes et surréalistes et ouvre celle qu’il poursuivra jusqu’à sa mort en 1966 et qu’il résume dans ce projet simple : « essayer de représenter un corps ».

 

GIACOMETTI a réalisé que ce que nous appelons « corps » est, en fait, une carapace qui nous cache beaucoup plus qu’elle ne nous révèle. Comment avoir accès à ce lieu secret que chacun porte en lui-même et qui lui donne vie ?

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

Diego peinture et sculpture (GIACOMETTI)

 

 

 

 

 

Pour cela il faut trouver le point qui leur donne maintien et cohérence. Pour GIACOMETTI, ce point est le regard. Si nous suivons les traits du pinceau d’une de ses toiles ou les stries d’une de ses sculptures nous constatons qu’ils nous mènent invariablement à un point d’origine : le regard. Toute la « poussière d’espace » qui constitue un corps prend sa consistance autour de lui : « seul le regard compte, tout le reste n’est que le support du regard ».

 

 

 

En conclusion…

 

 

 

A la fin de ses séances de thérapie corporelle, Annie réalise des dessins de son corps : certains représentent ses organes et sont parcourus de flèches. Nous les retrouvons sous des formes diverses chez de nombreux artistes contemporains, GIACOMETTI mais aussi BACON, BASELITZ, REBEYROLLE, BOLTANSKI ou RICHIER. Elles guident le spectateur vers ce qui donne cohérence au corps représenté,  regard pour GIACOMETTI, bouche pour BACON.